Bien avant la naissance du Monde de Narnia, la romancière britannique Elizabeth Goudge (1900-1984) campa une sorcière blanche dans son roman éponyme de 1958. La sorcière blanche, c'est Mistress Froniga, une sang mêlée, mi anglaise mi romani, qui a préféré porter la forme tzigane de Veronica comme prénom.

Imaginez une femme d'une quarantaine d'années aux longs cheveux noirs et brillants, dont les yeux sombres et étranges lui font un regard perçant et lucide, et, pour accompagner toute cette noirceur qui n'est qu'apparence, une robe verte. Trouvant son bonheur dans la solitude, Froniga vit à la jonction de deux mondes, et en emprunte, de gré ou de force, les éléments multiples et contraires.

C'est ce qui, d'ailleurs, la rend si atypique et aussi peu conventionnelle. Elle fait avant tout selon son désir et ses convictions, ce qui ne lui vaut pas que des amitiés. Mais quand l'on est issue d'une famille qui compte une licorne dans ses armes, l'on a de quoi affronter l'adversité ! Cette connivence avec l'animal magique s'exprime aussi avec son compagnon félin, Pen (« sœur »), chat tout aussi blanc que la sorcière, ainsi qu'avec les animaux sauvages qui jamais ne s'effraient de sa présence. Elle a, au reste, une grande affection pour la plupart des créatures, animaux comme fleurs, bien davantage que pour les êtres humains.

Bien qu'étant puritaine à l'époque où se déroulent les faits contés par Elizabeth Goudge, c'est-à-dire en 1642, on trouve quand même chez Froniga quelques bonnes grosses caractéristiques païennes, tout de même ! Voyons voir de quoi se compose sa spiritualité, la « science précieuse et spéciale de Froniga, celle qui n'était enfermée dans aucun volume. »

« Sa religion, explique Elizabeth Goudge, était très personnelle, c'était un mélange étonnant de christianisme, de sorcellerie blanche, de science romani et féerique, dominé par une foi sublime en ses propres pouvoirs. » Syncrétisme, dirions-nous aujourd'hui.

En tous les cas, Elizabeth Goudge dépeint là un personnage confiant en ses propres capacités, très peu sujet au doute, parfois un peu orgueilleux et manquant d'humilité, comme cela saute aux yeux dans le chapitre où elle consulte son tarot : Froniga la cartomancienne adopte une attitude plus qu'étrange par rapport aux lames... surtout quand elle n'en accepte pas la sentence. Hormis cela, ayant conscience du monde invisible, l'ouïe fine de Froniga capte les esprits et est capable de saisir des informations sur une personne en tenant dans ses mains un

objet lui ayant appartenu.

Mais, par-dessus tout, ce que cette adepte de la théorie des signatures pratique au premier chef, c'est bien évidemment l'art de soigner les malades, chose qu'elle accomplit en fabriquant ses propres remèdes, parce que cette jardinière experte aux doigts verts et enchantés cultive également des plantes médicinales dans le jardin « intolérablement prolifique » de son petit cottage cerné par une haie d'aubépines, dont le toit de chaume et deux cheminées émergent d'une végétation choisie et ordonnée selon les bons soins de Froniga. Afin d'assurer au mieux sa mission de guérisseuse, Froniga fait davantage confiance aux charmes et paroles magiques qu'elle répand sur ses remèdes, qu'à la science nouvelle des chirurgiens et des apothicaires qui, selon ses termes, cause plus de morts que la peste !

Traduit de l'anglais par Sabine Berritz, La Sorcière blanche parut premièrement en français chez Plon en septembre 1958, puis fut édité par les éditions G. P. en 1971. Elizabeth Goudge écrivit bien d'autres ouvrages où perce le merveilleux qui lui est cher : La marmite aux pièces d'or (1941), Le domaine enchanté (1943), Le secret de Moonacre (1946), Sortilèges (1964), etc.

Malheureusement, ils ont subi le même sort que les aventures de Froniga, que l'on ne trouve plus que d'occasion, et encore à des prix élevés, voire prohibitifs. Si jamais vous souhaitez découvrir l'univers d'Elizabeth Goudge, sachez que les éditions Libretto proposent quatre de ses titres au catalogue : L'arche dans la tempête (1934), Les amants d'Oxford (1938), Le pays du dauphin vert (1944) et La colline aux gentianes (1949).